À l’heure de l’ouverture des marchés et dans l’actuel contexte de renégociation de l’ALENA, La Coop fédérée — premier groupe agroalimentaire au Québec et deuxième en importance au Canada avec un chiffre d’affaires combiné de 9,2 milliards de dollars en incluant ses coopératives affiliées—se mobilise autour de la gestion de l’offre pour préserver les acquis des producteurs agricoles et de tous les Québécois. Engagée dans une offensive d’acquisition pour soutenir sa consolidation et la mise en marché des produits agroalimentaires, la coopérative tâche également à se faire connaître auprès des consommateurs. Rencontre avec Gaétan Desroches, chef de la direction de La Coop fédérée. Par Thérèse Garceau
AA – Qui est Gaétan Desroches ?
GD – Je suis un gars de la ville, issu d’une famille d’entrepreneurs de Québec qui n’était pas rattachée de près ou de loin à l’agriculture. Je suis diplômé en sciences de l’agronomie de l’Université Laval et j’ai fait ma maîtrise en administration des affaires (MBA) de l’Université de Sherbrooke. Je me suis toujours passionné pour l’agriculture. Quand je suis arrivé à La Coop fédérée, il y a plus de 30 ans, les producteurs agricoles m’ont adopté. Ce sont eux qui m’ont montré le métier d’agronome. Mes études en agronomie ont été pour moi une révélation et un rendez-vous avec le monde de la coopération agricole que je n’ai pas quitté depuis mon arrivée, il y a 35 ans ! Au sein du réseau de La Coop fédérée, j’ai exercé diverses fonctions dans le secteur des productions végétales avant d’être nommé chef de l’exploitation en 2006 et finalement chef de la direction en 2014.
AA – Qu’est-ce qui vous mobilise à l’heure actuelle ?
GD – Je souhaite que les gens de la ville se rapprochent de l’agriculture, qu’ils puissent mettre des visages sur les produits qu’ils consomment. Qu’ils sentent que les producteurs agricoles travaillent pour eux, pour nourrir le Québec. Il est important que nos producteurs agricoles aient une visibilité et une reconnaissance du public. Je souhaite, pour le Québec, que nous préservions notre sécurité alimentaire. Celle-là même qui nous permet de garder nos régions en santé, d’offrir des produits de proximité, dont on connait les méthodes de production, la provenance.
Quand on regarde l’agriculture d’un peu partout dans le monde, on constate à quel point nous sommes un modèle à suivre. La Coop fédérée est une institution presque centenaire, si on ne s’occupe pas de continuer de faire connaître l’agriculture et la valoriser à juste titre, qui le fera ? Que va-t-il arriver de nos régions et de nos campagnes…
AA – L’industrie bioalimentaire vit de profonds bouleversements et l’actuelle renégociation de l’ALENA pourrait compromettre la survie de la gestion de l’offre au Canada. Quels peuvent être les impacts d’une telle issue ? Quel est votre plan de match pour la suite des choses ?
GD – Notre plan de match, c’est de s’en tenir à notre position sur le maintien de la gestion de l’offre. Celle-ci ne doit pas servir de monnaie d’échange en vue de la reconduction éventuelle de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA). On conscientise le public sur les avantages collatéraux de la gestion de l’offre pour le Québec et le Canada. Les négociateurs nous disent qu’ils souhaitent la garder. Nous avons confiance, mais nous devons nous assurer que le public comprenne son importance et la soutienne avec nous.
AA – Quelle est la portée de la gestion de l’offre dans la vie de tous les jours du consommateur pour les entreprises ? Qu’avons-nous à perdre ?
GD –Les gens ont accès à une offre alimentaire d’une qualité supérieure à ce qui se fait ailleurs, à des produits de proximité et cela permet de soutenir la vitalité de nos régions. Ce sont ces trois éléments fondamentaux de notre production agricole que la gestion de l’offre protège. Ce n’est pas une question de baisse ou d’augmentation du prix des aliments. Le prix du lait ne baissera pas si on perd la gestion de l’offre, c’est une légende urbaine. Les consommateurs doivent être davantage sensibilisés sur les réels impacts de la perte de cette mesure pour le Québec. Si nous ne sommes plus protégés par ce cadre, les consommateurs risquent de perdre la qualité et le contrôle sur la production des produits. Si vous allez dans un marché aux États-Unis, observez la couleur et la dimension des poitrines de poulet en comparaison avec ce qu’on produit ici ; la différence est importante parce que leurs méthodes de production sont différentes des nôtres. On va se retrouver avec des produits sur lesquels on n’a aucun contrôle. Ici, nous sommes très exigeants en matière de bien-être animal, ailleurs ça varie beaucoup. On sera obligés de consommer ce qu’ils vont choisir de nous envoyer.
AA – Les Québécois sont-ils conscients de la nature des enjeux actuels ?
GD –Le consommateur n’est effectivement pas toujours au courant de toutes les normes que nous mettons en place pour la préservation environnementale et le bien-être animal. Dans la nouvelle Politique bioalimentaire, le gouvernement a annoncé une injection de plusieurs millions de dollars pour le bien-être animal puisque c’est une priorité. Dans nos usines, c’est le même souci, les producteurs investissent là-dedans. Nous avons à cœur d’informer d’avantage le consommateur sur ces éléments. Pouvoir consommer des produits de proximité c’est une valeur importante pour les consommateurs aujourd’hui et nous travaillons fort pour garantir cet accès-là à notre monde. La même logique s’applique à la sécurité alimentaire, c’est à la fois une très grande priorité pour les Québécois et pour les producteurs. Le public doit être mieux informé de tout ça.
AA – La Coop fédérée fait une nouvelle approche vers le public avec des campagnes médiatiques. Pourquoi est-ce important de vous rapprocher du consommateur à l’heure actuelle ?
GD –Nous avons lancé une nouvelle campagne sur la gestion de l’offre pour expliquer aux consommateurs ce que les producteurs agricoles du Québec font pour assurer au public les plus hauts standards de qualité dans leurs assiettes. Toutes nos entreprises sont près du consommateur et nous considérons que nous avons le devoir de faire connaître La Coop fédérée. Même si nos propriétaires sont des producteurs du Québec, nous sommes moins connus du public. Les gens ne savent pas que BMR et Olymel font aussi partie de La Coop fédérée. Nous voulons mieux nous positionner publiquement pour que les gens comprennent que nous sommes près des producteurs, mais aussi des consommateurs. Nous voulons que les Québécois soient fiers de La Coop fédérée et de son réseau. Notre première campagne On récolte ce qu’on aime a ouvert la porte et nous permet de commencer à bâtir une réelle reconnaissance au sein du grand public.
AA – Malgré toute la sensibilisation faite autour de l’achat de produits québécois depuis longtemps vous sentez que le consommateur n’est pas encore assez sensibilisé ?
GD –C’est beaucoup mieux reconnu qu’avant, mais avec les sources d’informations multiples, ce n’est pas toujours évident pour le consommateur de s’y retrouver, entre autres, dans l’étiquetage. En revanche, même si le consommateur est plus conscient de l’importance de l’achat de produits québécois, certains pensent que l’abolition de la gestion de l’offre pourrait entrainer une baisse de prix, toutefois, les nombreuses études sur le sujet et l’expérience démontrent que dans les faits ce n’est pas ce qui arrive. Acheter québécois c’est encourager les producteurs d’ici et la gestion de l’offre permet de conserver des milliers de fermes familiales à dimension humaine dans toutes les régions du Québec. Nous consommons des produits qui viennent d’ici, là où les consommateurs vivent.
AA – Qu’espérez-vous de la nouvelle Politique bioalimentaire du Québec ?
GD –C’est un pas dans la bonne direction. Tous les secteurs de l’industrie bioalimentaire diversifient leurs activités pour répondre aux attentes des consommateurs. Le changement est amorcé depuis longtemps chez les producteurs et là-dessus, la nouvelle politique bioalimentaire reconnaît l’importance de maintenir cette approche collective. En faisant cela, nous devons aussi conserver les éléments fondamentaux qui ont fait le succès du Québec bioalimentaire actuel. Nous souhaitons que le gouvernement, tous partis confondus, poursuive sur la voie de cette nouvelle politique. C’est vraiment un consensus fort, il y a eu plusieurs consultations auprès de tous les acteurs et j’espère qu’on puisse aller au bout des changements et faire émerger des chaînes de valeurs qui répondent aux besoins variés des consommateurs ainsi qu’aux attentes de toutes les parties prenantes du secteur.
AA – On sent que la Coop fédérée est dans un processus d’acquisition, notamment avec l’achat de Cargill en mars dernier. Vous avez d’autres achats en vue. Quelle est votre stratégie à ce niveau ?
GD –Notre stratégie est assez simple. Présentement, le marché se consolide dans toutes les industries, pas seulement en bioalimentaire. Nous voulons avoir les masses critiques pour nous consolider et demeurer un outil de mise en marché performant pour nos producteurs agricoles. Nous misons sur le développement de tout ce qui est dans notre mission et qui nous permette d’allonger nos chaînes de valeurs. Avec l’acquisition de Cargill, nous étendons notre territoire géographique et nous augmentons les masses critiques à l’achat, entre autres, de fertilisants et de grains. Cela va nous permettre de réaliser des économies d’échelle pour tous les producteurs. Notre volonté est claire et les budgets sont là. La Banque Nationale, le Fonds de solidarité FTQ, Fondaction CSN et le Fonds coopératif Desjardins ont investi 200 M$ dans La Coop fédérée, avec les résultats que nous avons obtenus cette année, nous sommes effectivement en mode acquisition dans nos 3 divisions.
AA – Quels sont vos souhaits pour La Coop fédérée ?
GD –Nous voulons que les Québécois prennent conscience que La Coop fédérée et son réseau est là depuis presque cent ans pour nourrir le monde et que nous allons continuer à valoriser le travail des producteurs d’ici, ces hommes et ces femmes, qui tous les jours relèvent leurs manches et redoublent d’efforts pour s’assurer d’offrir aux consommateurs des produits de qualité, qui répondent aux plus hautes normes de biosécurité alimentaire. Nous continuons d’avancer pour le monde et avec le monde. C’est tout cela que nous voulons partager avec eux.